Petrkov

La famille Reynek



La famille au complet dans le jardin de Petrkov, début des années 1930, archives de la famille Reynek

Bohuslav Reynek

Poète, graveur et traducteur du français et de l’allemand, Bohuslav Reynek – né le 31 mai 1892 et mort le 28 septembre 1971 à Petrkov – est un des plus importants artistes tchécoslovaques du 20e siècle. Sa vie et son œuvre sont intimement liés à la région de la Vysočina. Petrkov, les recoins de la demeure, de son jardin, et leurs alentours se retrouvent dans son œuvre dès ses dessins de jeunesse jusque dans ses gravures tardives, de même que dans sa poésie. A l’automne 1923, à Grenoble, il fit connaissance de Suzanne Renaud, poète à laquelle il était venu demander l’autorisation de traduire son premier recueil de poèmes Ta vie est là…. Il avait alors une bonne connaissance de la France et de sa culture pour y avoir passé plusieurs séjours déjà, ainsi qu’à travers sa collaboration avec la maison d’édition de Josef Florian de Stará Říše.

Après son mariage avec Suzanne Renaud, en 1926, pendant dix ans, les époux Reynek vécurent six mois tour à tour à Grenoble et dans ses environs, lors de séjours estivaux, et tour à tour à Petrkov. Ces deux espaces se reflètent nettement dans l’œuvre d’artiste de Reynek, dans ses dessins, ses fusains et pastels, et dans ses gravures.
C’est en France, à la Tronche, aujourd’hui banlieue de Grenoble, que n’acquirent les deux fils des Reynek, Daniel Václav en 1928 et Jiří Michel en 1929.

Grenoble fut également le premier lieu où Bohuslav Reynek exposa ses travaux, dans le cadre d’une exposition qui eut lieu dès 1927. Sa première exposition tchécoslovaque, organisée par l’éditeur Vlastimil Vokolek, se tint dans la ville de Pardubice en 1929. Après quoi Reynek exposa régulièrement à la galerie Saint-Louis de Grenoble : son œuvre suscita et continue de susciter un vif intérêt. A partir de 1936, après la mort du père de Bohuslav, les Reynek durent rester définitivement à Petrkov et reprendre la gestion de la ferme familiale. A l’automne 1937, Suzanne Renaud put encore rendre seule visite à sa famille et ses amis à Grenoble. Toute autre possibilité de voyage fut ensuite rendue impossible par la guerre : elle fit son dernier voyage dans sa patrie à l’automne 1947, sur l’intercession du poète František Halas qui l’aida à obtenir un passeport. A l’occasion de ces voyages, à travers la correspondance qui s’installa par la suite et par les visites d’amis français, de nombreuses gravures de Bohuslav Reynek trouvèrent leur chemin vers la France, en guise de cadeaux. Elles se trouvent aujourd’hui conservées dans plusieurs importantes collections privées de familles françaises, tandis que d’autres de ses travaux, notamment ses dessins, sont déposés aux archives de la Bibliothèque municipale de Grenoble. L’œuvre de Bohuslav Reynek et de Suzanne Renaud continue en France de faire l’objet d’une intense activité éditoriale et de recherche menée par l’association Romarin.

En 1948, au moment de la prise de pouvoir en Tchécoslovaquie par les communistes, Bohuslav Reynek, son épouse et leurs fils décidèrent de ne pas émigrer en France, en dépit du soutien que leur proposait par exemple le poète Jean Lebrau. La tradition dans la famille veut que ce fut finalement Suzanne Renaud qui en refusa l’idée, souhaitant conserver pour ses fils l’héritage de la ferme familiale. Hélas, celle-ci fut vite confisquée dans le cadre de l’étatisation forcée : Bohuslav (jusqu’à son départ à la retraite) et leur fils cadet, Michel, eurent la charge de l’élevage de cochons que la coopérative d’Etat installa chez eux. A cette époque, les bâtiments agricoles furent détériorés, notamment par des dépôts d’engrais toxiques, le bétail endommagea le jardin. Leur fils aîné, Daniel, travailla comme chauffeur du Génie civil. La famille vécut dans le dénuement, Suzanne Renaud se vit même refuser sa retraite. Les travaux d’entretien les plus nécessaires de la maison furent effectués par les fils Reynek ou moyennant des pots-de-vin, le plus souvent sous la forme de gravures – les poêliers et autres ouvriers ayant souvent l’art de choisir les plus grandes et les plus belles. Contrairement à certaines voix qui avancèrent que la famille avait laissé la demeure dépérir délibérément, son délabrement progressif fut la conséquence de la situation matérielle précaire dans laquelle la famille se retrouva à son insu après 1948. Il suffit de parcourir la correspondance de Suzanne Renaud pour se rendre compte à quel point il était important pour elle de maintenir la bonne marche de la maison et quels obstacles il lui fallut affronter pour y parvenir. Après sa mort, Bohuslav Reynek continua d’y vivre avec ses fils. Il n’eut plus la force de veiller à son entretien, mais c’est à cette époque qu’il créa certains de ses textes poétiques majeurs. Après son décès, Daniel se maria et son épouse entreprit de rénover la maison, autant que leurs moyens le permirent, avec l’aide de Michel et de nombreux amis.

A côté de l’œuvre de Suzanne Renaud, parmi les nombreux auteurs que Bohuslav Reynek traduisit du français figurent, entre autres, Francis Jammes, Jules-Amédée Barbey d’Aurevilly, Charles Péguy, Jean Giono, Louis Pize, Jean Lebrau, Max Jacob, Georges Bernanos, Paul Valéry ou encore Jean de La Fontaine, Victor Hugo et Paul Verlaine. De l’allemand, il faut mentionner notamment ses importantes traductions de Georg Trakl et d’Adalbert Stifter : à ses débuts, Reynek fut fortement influencé par l’expressionisme allemand.

Parmi ses recueils de poésie, citons Écailles de poissons, Le Serpent sur la neige, Les Lèvres et les dents, Papillons d’automne, Le Gel à la fenêtre et Le Départ des hirondelles.

De son œuvre artistique, riche de plusieurs centaines de dessins, pastels et gravures, évoquons enfin les cycles gravés La Neige, Noël, Pastorale, Cycle de la Passion, Job, Don Quichotte.

 

Suzanne Renaud

Poète et traductrice, Suzanne Renaud naquit le 30 septembre 1889 à Lyon et mourut le 21 janvier 1964 à Havlíčkův Brod. Elle passa une partie de son enfance et de sa jeunesse à Grenoble. Première femme diplômée de son Université, elle travailla sur les littératures française et anglaise et enseigna la littérature française à des étudiants étrangers. Après ses études, elle visita de nombreux pays européens. Elle eut aussi un talent marqué pour la musique.

Son premier recueil parut en 320 exemplaires aux éditions Au Pigeonnier à Saint-Félicien, dans le Vivarais, en juin 1922. Le livre trouva son chemin jusqu’entre les mains du jeune poète et traducteur Bohuslav Reynek. S’ensuivit une grande amitié qui déboucha sur leur mariage. Le premier voyage de Suzanne Renaud à Petrkov n’eut lieu qu’après leurs noces.

Au début, les séjours de six mois en Tchécoslovaquie, alternant avec leur vie en France, furent assez difficiles pour Suzanne Renaud qui, issue d’une famille française bien située, était habituée à un contact régulier avec ses amis. Pendant longtemps, il fut dur pour elle d’apprendre le tchèque et elle fut d’abord un peu interloquée par l’apparence rustique du « château » de Petrkov qui, à ses yeux, correspondait plutôt à un vieux « manoir ». Cependant, avec les années, elle s’y habitua, notamment par beau temps, et apprit à en aimer les environs. Elle appréciait la compagnie des visiteurs francophones, parmi lesquels tout d’abord l’éditeur Vlastimil Vokolek, puis l’écrivain Jan Čep ou le poète Jan Zahradníček. En Tchécoslovaquie, elle aima tout particulièrement Prague et Kutná Hora, et se prit de passion pour l’art baroque.

A Petrkov, elle apporta son goût pour la cuisine française. Les époux Reynek déjeunaient séparément des parents de Bohuslav, Suzanne faisait elle-même la cuisine, des plats légers, de nombreuses salades : avec son mari, elle se mit bientôt à cultiver dans leur jardin des légumes, des herbes aromatiques et des plantes d’agrément qu’ils rapportaient de France.

Après la naissance de leurs enfants, elle conçut le projet d’un recueil de poèmes en prose dédié à la Tchécoslovaquie que son mari était censé accompagner d’illustrations. Avant de faire aboutir ce projet, elle écrivit le long poème AILES DE CENDRE. Ce texte inspiré par la région de la Vysočina, tout comme l’ensemble de l’œuvre à venir de Suzanne Renaud, ne parut cependant pas en France mais en Tchécoslovaquie, d’abord en français, puis dans des traductions de Bohuslav Reynek. De là découle le fait qu’elle reste à ce jour peu connue en France, principalement d’un cercle restreint de lecteurs du Dauphiné, tandis qu’elle a sa place importante dans le contexte de la littérature tchèque.

Ses poèmes suivants sont autant imprégnés de paysages français, d’une forte nostalgie de son pays, que d’influences et d’inspirations tirées de la nature et des coutumes tchèques. La collaboration avec son époux ne se limita pas seulement à son travail de traducteur : il accompagnait ses recueils et certains poèmes individuels d’illustrations (CORBEAUX, NOËL). Après la signature des Accords de Munich, en défense de la Tchécoslovaquie, elle écrivit son recueil Victimae Laudes où l’on croise à nouveau des motifs de lieux concrets de ce qui était désormais devenu sa seconde patrie.


Gravure de Bohuslav Reynek en illustration du recueil Victimae laudes, Archives littéraires du Musée de la littérature de Prague, fond Vlastimil Vokolek

Pendant la guerre, les Reynek furent chassés de leur maison de Petrkov et vécurent pendant un an à Stará Říše avec la famille de l’éditeur Josef Florian. De sa correspondance, il apparaît à quel point elle se souciait notamment du sort de son jardin, où les soldats allemands coupèrent plusieurs arbres avant même le départ des Reynek et détruisirent entièrement le potager qu’elle avait mis tant de temps à créer. Heureusement, le jardin ne souffrit pas d’autres dégâts au cours de leur année d’éloignement.

Leur demeure qui lui avait semblée inhospitalière lors des premiers hivers que la famille y passa devint pour elle une sorte de retranchement protecteur et, peu à peu, elle y devint très attachée, notamment au jardin, ainsi qu’aux proches environs. Il est possible de trouver dans ses poèmes de nombreuses images qui s’y rattachent. Les vues du ciel du soir, par la fenêtre, ses observations d’animaux sauvages dans le vaste jardin, tout cela devint autant de sources d’inspiration pour son œuvre tardive également, comprenant certains de ses textes majeurs.

Pour surmonter les difficultés de la vie pratique dans cette maison pratiquement impossible à chauffer correctement, la mélancolie due à l’éloignement du monde extérieur, sans compter les persécutions et les brimades du régime communiste, elle chercha le réconfort dans la compagnie de ses fils, ainsi que dans le café et dans la lecture – puisant d’abord dans la bibliothèque de l’Institut français de Prague avec l’aide de quelques amies qui y travaillaient, puis, après la fermeture de l’Institut, grâce aux envois de livres de la part d’amis français. Elle trouva un important soutien dans l’écoute de musique classique, une passion qu’elle transmit à ses enfants avec ses profondes connaissances en la matière. Après la guerre, son lien principal avec la France furent les précieuses visites que recevaient les Reynek (à l’exception, hélas, des membres de la famille française de Suzanne Renaud qui, à cause de complications diverses, ne purent jamais se rendre en Tchécoslovaquie) et sa correspondance : celle qu’elle tint avec sa famille et ses amis de Grenoble et d’ailleurs en France, et celle, particulièrement intense alors, avec l’écrivain Henri Pourrat.

Avec son aide, elle chercha à faire publier un ensemble de ses traductions de poésie populaire tchèque intitulé Annette et Jean, projet qui ne put aboutir qu’après sa mort, de même que l’édition française de ses recueils de poésie tardifs. A côté des traductions de son mari et de son fils Michel, sa poésie fut notamment traduite en tchèque par le poète et historien de l’art Jan Marius Tomeš.

De son vivant, elle publia les recueils (en italique) et les poèmes (en majuscules) suivants : Ta vie est là…, AILES DE CENDRE, CORBEAUX, NOËL, Victimae laudes, La Porte grise.

 


Avec ses parents et un chat devant le pavillon du jardin, archives de la famille Reynek

Daniel Reynek

Né le 9 juin 1928 à La Tronche, aujourd’hui intégrée à Grenoble, le photographe Daniel Václav Reynek mourut le 23 septembre 2014 à Petrkov. Toute sa vie durant, il resta fidèle à la maison familiale. Son épouse y emménagea avec lui et c’est là qu’ils élevèrent leurs enfants Michael et Veronika. La France et ses coutumes, sa langue, sa culture, y compris culinaire, demeurèrent très présentes pour lui : il fut parfaitement bilingue et à chaque fois que cela lui fut possible, notamment après la chute du régime communiste en 1989, il séjourna souvent en France.

Les automobiles, autant historiques que modernes, furent un de ses grands amours. C’est pour lui que, sous le régime communiste, il accepta l’esprit libre de travailler comme chauffeur du Génie civil, sans s’en plaindre – ce travail était par ailleurs contrebalancé par les rencontres avec d’importantes personnalités que fréquentait la famille Reynek, comme elle alors en marge de la société. Il commença à s’adonner à la photographie dès les années 1940 : c’est de lui que sont les vues de la maison de Petrkov et de ses environs que Bohuslav Reynek se plaisait d’envoyer à ses amis.

Avec le temps, il se perfectionna d’un point de vue technique, pu se doter d’appareils photo de meilleure qualité. Il se recentra peu à peu sur des prises de vue de détails : leur vision poétique est proche de certaines gravures de Bohuslav Reynek dont il connaissait intimement l’œuvre pour avoir assisté à son père dans l’impression de gravures aux formats plus importants.

A la fin de sa vie d’artiste, il passa à la création de compositions photographiques plus élaborées. Son œuvre est reconnue et exposée en République tchèque et à l’international. Elle fut portée notamment par le photographe František Nárovec qui en organisa de nombreuses expositions et qui administre aujourd’hui les archives photographiques de Daniel Reynek.

 


Dans le pavillon du jardin de Petrkov, archives de la famille Reynek

Jiří Michel Reynek

Le traducteur Jiří Michel Reynek est né le 5 juillet 1929 à La Tronche et mort le 15 octobre 2014 à Petrkov. Bien qu’il n’ait pu officiellement devenir traducteur et qu’il ait travaillé jusqu’à sa retraite comme éleveur de cochons dans la coopérative qui fut installée de force par le régime communiste dans la demeure de Petrkov, il fut en contact étroit avec les textes de ses auteurs préférés dès sa jeunesse. Sa passion pour la littérature trouva son contrepoint dans celle qu’il portait pour la botanique et tout ce qui y est lié. Il commanda nombre des plantes du jardin de Petrkov auprès de jardins botaniques, avec son père et sa mère il se fit envoyer des graines de France, et jamais il ne cessa de découvrir de nouvelles plantes rares, avec la même détermination inépuisable.

Il établit une serre au grenier de la maison où il cultiva avec succès plusieurs dizaines de cactus. Savamment entretenu dans un état semi-sauvage, le jardin, d’où il arrachait impitoyablement certaines mauvaises herbes, avait son propre caractère fortement original : il aimait ce côté fougueux, naturel, maintenu cependant dans des bornes précises. Ses connaissances en botanique et, dans une certaine mesure en zoologie, étaient phénoménales. Ce fait, ainsi que sa maîtrise parfaite du français, lui fut d’un appui précieux pour ses traductions de textes d’Henri Pourrat : de son Trésor des contes et du roman Gaspard des montagnes. D’ailleurs, ce fut Michel Reynek qui, par ses traductions, ancra définitivement Henri Pourrat auprès des lecteurs tchèques. Gaspard des montagnes avait été traduit dans les années trente par Jan Čep et son frère Václav, mais selon des usages linguistiques de l’époque qui firent que cette première parution n’eut pas un impact durable. Ce n’est que par Michel Reynek que l’éclat de la prose de Pourrat trouva son plein développement en tchèque (couronné par le prix Jungmann de la meilleure traduction) : par endroits, on serait presque tenté d’avancer que le traducteur fit ici montre d’une adresse langagière encore plus riche que l’auteur lui-même. Parmi les autres auteurs qu’il traduisit, nous pouvons citer par exemple Marie Noël, Francis Jammes, Jean Giono et Suzanne Renaud, pour ceux de ses poèmes tardifs que Bohuslav Reynek n’avait pas traduit lui-même, rendus par leur fils avec une assurance, une finesse et une connaissance de son œuvre remarquables.

Avec son frère Daniel, Michel Reynek partageait la même passion de la musique classique ainsi qu’un sens de l’humour propre qu’à eux seuls. Tous deux étaient remplis de joie lorsqu’il était possible de rénover tel ou tel élément de la maison, de repeindre sa façade, et il leur tenait cœur que leur demeure ne tombe pas en décrépitude. Tous deux aimaient y recevoir : de leur vivant, des dizaines de personnes se rendaient là chaque années, poussées par leur intérêt pour l’actualité artistique, autant tchèque que française, et pour la littérature. Ils soutenaient les étudiants qui venaient les questionner au sujet des travaux de leurs parents, sans refuser non plus cinéastes et photographes qui venaient documenter Petrkov et ses entourages.