14. 2. 2022

En souvenir de Madame Annette Lauras-Pourrat

Annette Lauras-Pourrat (née le 9 juin 1935), fille de l’écrivain Henri Pourrat, nous a quittés le vendredi 4 février à l’âge de quatre-vingt-six ans. Elle fut une des grandes personnalités de la région d’Auvergne à laquelle elle dédia plusieurs livres. Elle consacra également plusieurs ouvrages à l’œuvre de son père et fut la cheville ouvrière de la Société des Amis d’Henri Pourrat. Avec ses parents et son frère aîné Claude, elle avait grandi dans la maison d’Ambert dont elle devait par la suite reprendre la charge : grâce à elle, de nombreux visiteurs ont pu ainsi entrer dans l’intimité d’Henri Pourrat, voir sa véranda dallée, les tableaux accrochés aux murs, sa collection de cannes de randonnée, son bureau, à l’étage, avec sa bibliothèque que devaient venir compléter au fil des années plusieurs dizaines de traductions étrangères de ses textes, et admirer son jardin, par la fenêtre. C’était toujours d’une manière tout à fait captivante qu’elle évoquait son père, ménageant çà et là de petites pauses pour trouver l’expression la plus juste. Jamais elle n’était importunée de soulever des points plus complexes, ou d’avoir à répéter ses réponses aux mêmes questions des divers chercheurs étudiant l’œuvre de Pourrat venus la consulter. Et souvent, ceux-ci retournaient rendre visite à Annette, avec le sentiment d’être accueilli dans une ambiance quasi-familiale.

Annette et son mari Jean maintinrent également le fil lumineux de l’amitié d’Henri Pourrat avec Suzanne Renaud et Bohuslav Reynek. Lors de quelques occasions précieuses, les fils des Reynek, Daniel et Michel, purent les retrouver en personne, tout en maintenant avec les époux Lauras d’étroites relations épistolaires, ponctuées d’envois de livres (notamment des nouvelles traductions par Michel Reynek de Gaspard des montagnes ou des contes de Pourrat) et de salutations d’amis communs. Quelques mots, sourires et détails, en apparences infimes… Autant de petits événements qui suffisaient à faire briller ce fil de plus belle et à rendre pleinement présent à nouveau tout ce qui avait nourri cette amitié ancienne sans cesse renouvelée. Jadis, au début de leurs échanges de lettres, Pourrat avait envoyé à Bohuslav Reynek son portrait photographique. Reynek lui avait répondu pour le remercier : la photographie avait été placée, très simplement, dans la cuisine des Reynek afin qu’Henri Pourrat soit sans cesse au cœur de leur cercle intime. Je ne saurais plus dire combien de fois j’ai eu le bonheur de pouvoir côtoyer Annette dans sa cuisine, à Ambert, de parler longuement ou de me taire avec elle, pour que nos échanges reprennent aussitôt, de plus belle, suivis de son rire merveilleux, perlant comme les grains de verre d’un collier dévalant un escalier – ce rire dans lequel on devinait la petite fille aux yeux rayonnants qu’elle avait pu être. Plusieurs fois, nous avons préparé notre repas ensemble. Un jour, en ouvrant un placard de la cuisine, je découvris, collée sur la porte, côté intérieur… la reproduction d’une très belle gravure de Reynek ! Maintenant, ici. Ici, maintenant. Bien souvent, en compagnie d’Annette, je fus prise d’une émotion qui évoqua pour moi un autre grand ami tchèque d’Henri Pourrat, Jan Čep. Comme si le temps avait fait un pli sur soi-même et que ceux qui nous avaient quittés depuis longtemps se retrouvaient présents, aux côtés des vivants – comme si le temps avait perdu de sa netteté et que la distance avait fait place à une tangible communauté. Combien de fois n’ai-je pas parlé d’Henri Pourrat de la sorte avec les fils des Reynek, dans la cuisine ou dans la chambre bleue de Petrkov ? Ou encore, lors des voyages entrepris sur les pas de Gaspard, cette même sensation de communauté, d’étreinte de ces deux contrées : l’Auvergne et la Vysočina.

Ainsi, je continuerai, lors de mes promenades, à entendre le rire d’Annette, à voir ses yeux magnifiques, à entendre ses paroles, toujours si précises, que sous-tendait et sous-tendra à jamais le même message : celui d’un profond amour envers la Création, la nature, l’amitié. Après quoi, sur le canapé de la chambre bleue de Petrkov, je reverrai Michel, me confier à nouveau avec passion que les enfants ne sont pas les seuls à lire les contes de Pourrat, que souvent, en privé, les grands s’y replongent eux aussi. Henri Pourrat n’a-t-il pas, une fois, réconforté son épouse qui lui reprochait de passer trop de temps à ses livres, inquiète que leurs enfants ne ressentent un jour un manque d’avoir trop peu parlé avec leur père, en lui répondant que tout ce qu’il voulait leur dire, ils le trouveraient dans ses livres ? Annette aimait à revenir aux œuvres de son père, toujours attentive, elle qui avait parcouru tant de fois, avec une assurance remarquable, ces milliers de pages (et qui dut « sauver » in extremis plus d’un étudiant oublieux de telle ou telle référence, dans son mémoire universitaire). La Bienheureuse Passion était de celles qui lui tenaient le plus au cœur. Elle fut également parmi les premiers livres commandés par les Reynek lorsque les services postaux réguliers furent rétablis entre la France et la Tchécoslovaquie, après la guerre. Je suis en train d’en feuilleter mon exemplaire – déniché en compagnie d’Annette sur un stand de livres de La Chaise-Dieu, dans une pente, alors que nous étions allées acheter des chanterelles séchées pour notre omelette de midi. La couverture en est d’un blanc pur, avec une photographie du Christ en croix. Encore et à nouveau, je relis ces mots de Pourrat que Michel Reynek aimait tant lui aussi : « (…) le poids et la chute, la peine et l'anéantissement, ne sont pas la vérité : la vérité, c'est la montée et c'est la joie dans la lumière. Tout l'univers va à cette victoire qui passe l'espérance. »

Nous aurons l’occasions de nous souvenir d’Annette Lauras-Pourrat et de l’amitié de la famille d’Henri Pourrat avec celle des Reynek lors de la première rencontre organisée ce printemps à Petrkov par le Centre tchéco-français, intitulée « Souvenir de la neige », le samedi 9 avril à 15h.

Lucie Tučková

Photo: Annette et son frère Claude avec leur père Henri Pourrat, années 1950, archives d’Henri Lauras

Annette devant la maison d’Ambert et avec les visiteurs de la maison, photo L.T.

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